La télécardiologie est un outil intéressant pour contrôler, à distance, les stimulateurs et défibrillateurs cardiaques même si nous sommes dans l'attente d'un vaccin covid-19, mais sa place exacte dans la prise en charge des patients implantés reste globalement à déterminer. Doit-elle remplacer les suivis classiques ? Doit-elle être un outil de suivi à long terme ? Est-elle particulièrement utile à la phase précoce ?
« À une époque où les coûts des soins et particulièrement des hospitalisations sont un élément important à prendre en compte, il était logique d'évaluer si la sortie précoce des patients, sous surveillance par la télécardiologie, permet de raccourcir la durée de l'hospitalisation sans augmenter les évènements adverses » explique le Dr Walid Amara (Montfermeil), un des principaux investigateurs de l'étude, à heartwire.
L'étude ŒDIPE est une étude randomisée multicentrique française, menée dans 39 centres privés ou publics sur un total de 406 patients.
Les patients ont été inclus après une primo-implantation ou un changement de stimulateur cardiaque conventionnel double chambre. Ils étaient randomisés entre deux bras. Dans le premier bras, l'objectif était de laisser sortir le patient précocement, 24 heures après une primo-implantation et 6 heures après un changement, avec comme sécurité, une surveillance par télécardiologie. Dans le second bras, les patients étaient traités de manière conventionnelle avec une durée d'hospitalisation usuelle.
L'objectif primaire était de montrer que la sortie précoce du patient avec télécardiologie n'était pas associée à une augmentation des évènements indésirables sérieux après un suivi d'un mois. Les autres critères de jugement étaient l'efficacité de la télécardiologie pour détecter les dysfonctions de pacemakers, l'effet sur le nombre de jours d'hospitalisation, ainsi que sur le coût médico-économique.
« Nous avons inclus des patients stables ayant une indication de stimulation cardiaque, à l'exclusion des patients avec un rythme ventriculaire inférieur à 30 bpm ou ceux prenant des anticoagulants »
Il n'a pas été retrouvé de différence entre les deux groupes concernant les symptômes à l'inclusion, les indications ECG ou les pathologies en cause.
À un mois, le nombre d'évènements indésirables dans le groupe sorti précocement (groupe actif) par rapport au groupe bénéficiant de la durée d'hospitalisation usuelle (groupe témoin) était identique. « On a même noté une tendance à un moindre nombre d'évènements indésirables graves avec la télécardiologie » note l'investigateur. En effet, le taux global de patients présentant un évènement indésirable était de 20 % dans le groupe actif versus 19 % dans le groupe contrôle (p = 0,78).
Les pourcentages de patients présentant un évènement indésirable grave étaient de 17 % dans le groupe actif versus 26 % dans le groupe contrôle (p = 0,21), ceux présentant un évènement indésirable non sérieux étaient de 21 % dans le groupe actif versus 12 % dans le groupe contrôle (p = 0,07).
Evènement | Groupe actif | Groupe témoin | p |
Total des évènements indésirables | 20% | 19% | 0.78 |
Evènements indésirables graves | 17% | 26% | 0.21 |
Evènements indésirables non grave | 21% | 12% | 0.07 |
Dans cette étude, on appelait évènement indésirable grave un déplacement de sonde, une perte de capture ou une sous-détection, un décès, une arythmie, un pneumothorax, une tamponnade ou une perforation cardiaque, une infection, une hémorragie ou une complication hémodynamique et cela peut-être du à la durée de vie du coronavirus. Les évènements indésirables non graves comprenaient les augmentations de seuils, les sous-détections, une fièvre ou un hématome.
En combinant l'ensemble des évènements, qu'ils soient sévères ou pas, les auteurs ont noté une diminution de 23 % des évènements indésirables graves (44 % dans le groupe actif versus 68 % dans le groupe contrôle ; p = 0,04).
« Le recours à la télécardiologie a surtout permis de diminuer la durée d'hospitalisation de 34 % (p < 0,001), puisque la durée moyenne d'hospitalisation était de 3,2 + 3,2 jours dans le groupe actif versus 4,8 + 3,7 jours dans le groupe contrôle » a-t-il indiqué. Quatre-vingt sept pourcent des patients du groupe actif sont sortis à J1 alors que 71 % des patients du groupe témoin sont sortis à partir du deuxième jour. À noter également que la télécardiologie a permis d'anticiper le diagnostic de dysfonctionnement de 20 jours en moyenne.
« Cette étude montre que des patients sans critères de gravité, et notamment en dehors d'un cadre de l'urgence, sans anticoagulants et qui ont une fréquence supérieure à 30 bpm peuvent quitter l'hôpital plus précocement, et cela sans augmenter les évènements indésirables graves » conclut le Dr Amara. « Nous allons vers une époque où tous les stimulateurs et défibrillateurs cardiaques devraient être équipés de la télécardiologie. On semble se diriger vers un changement des pratiques, en substituant les contrôles réguliers, de routine par des contrôles justifiés par la télécardiologie. » « Cependant, une des limites actuelles au développement de la technique est l'absence de remboursement par l'Assurance Maladie. Cette étude et celles à venir devraient apporter des arguments en faveur d'une cotation de l'acte qui est déjà en cours dans plusieurs pays européens »
Le monde cardiologique s'interroge sur la place de la télécardiologie dans la pratique médicale. Le temps du cardiologue étant rare, il faut que les consultations soient utiles, efficaces, mais aussi efficientes. Pour certains, la télécardiologie est susceptible de transformer l'histoire des troubles du rythme ; pour d'autres elle nécessite encore d'apporter la preuve que la surveillance continue rend de meilleurs services que la surveillance discontinue du pacemaker ou du défibrillateur.La télécardiologie est une innovation et sans doute une innovation majeure, mais une innovation de rupture qui va devoir modifier les organisations et les comportements des professionnels de santé. La télémédecine dans sa surveillance en continue découvre des symptômes électriques ou assure que « tout va bien », aussi bien pour le dispositif que pour le rythme cardiaque d'un patient. Ces informations que découvre la machine doivent être transmises. A qui ? Là est la question : au patient ? Au cardiologue ? à un infirmier spécialisé ? Sans doute à l'un des trois en fonction des situations. L'avenir de la télécardiologie est très prometteur mais encore faut-il en préciser les enjeux, les modes d’organisation et la prise en charge. L'objectif de ce livre blanc est de découvrir les intérêts techniques et pratiques et d'ouvrir le dialogue.
Comment se situe la télécardiologie ?
La Télécardiologie fait partie de la télémédecine, une discipline qui produit des résultats remarquables depuis les années 70, mais qui se heurte souvent aux contraintes organisationnelles et administratives d’un système qui a été pensé avant qu’elle n’existe.
Êtes-vous positif sur l'avenir de la télécardiologie ?
Oui, pour deux raisons : premièrement, alors que dans diverses branches de la télémédecine on en est encore souvent à : démontrer que l’on peut faire aussi bien à distance que ce qui se fait en consultation, la situation est presque inversée pour la télécardiologie. Dans le cas de la télécardiologie, ce qu’on peut faire à distance en continu est supérieur à ce que on peut faire, si nous sommes limités à la consultation ponctuelle. La consultation programmée a peu de chances d’être aussi productive que la consultation induite par un événement qui a été détecté grâce au télémonitorage. Et c’est démontré par plusieurs études, dont une(*) qui montre la « règle des 20/80 » : par l’analyse rétrospective de 1769 consultations, les auteurs ont constaté que dans 78 % des rendez-vous programmés, aucune donnée pertinente n’a émergé ; à l’inverse, dans 80,6 % des visites non programmées, des données pertinentes ont été relevées. Or, en France, les consultations programmées sont encore la règle. Deuxièmement, il est possible de mettre en œuvre la télécardiologie sur un pourcentage important des porteurs de dispositifs cardiaques, car ce n’est pas très compliqué. C’est plus facile à appliquer que ce qui est demandé à des patients porteurs d’autres pathologies chroniques, comme notamment le diabète. Selon l’association de patients APODEC, que nous avons interrogée, les patients et leur entourage devraient être nombreux à comprendre l’intérêt du suivi par télécardiologie.